COUR CONSTITUTIONNELLE : ‘’TSHISEKEDI OPPOSE DANGEREUSEMENT LES INSTITUTIONS’’ (Observateur)

« Cette manière, pour le Président Tshisekedi, d’opposer les institutions dans le dossier des juges de la Cour constitutionnelle est très dangereuse et pourrait déboucher sur une réelle crise institutionnelle au pays ». L’homme qui se confie ainsi à congovirtuel.org est un des professeurs de droit les plus en vue à l’Université de Kinshasa, mais qui, de par sa discrétion légendaire, a préféré garder l’anonymat. Il réagit, en fait, aux dernières rencontres qui viennent d’avoir lieu autour du chef de l’Etat, surtout la dernière avec le pouvoir judiciaire, au sujet de la prestation de serment des nouveaux juges de la Haute cour nommés en juillet dernier.

Après la rencontre, lundi dernier, avec les Présidents des deux chambres du Parlement, en effet, le Président Félix Tshisekedi a reçu, hier mercredi à son initiative, les responsables des différents corps du pouvoir judiciaire, notamment ceux du Conseil supérieur de la magistrature et de la Cour constitutionnelle. Les propos tenus, au sortir de cette audience, par Jean Paul Mukolo Nkokesha, ci-devant Président a.i du CSM et Procureur général près la Cour constitutionnelle, ne laissent aucun doute sur le fait qu’il s’agit d’une réplique à la position précédente de Jeanine Mabunda et Thambwe Mwamba. Certains sont allés jusqu’à croire qu’il a été engagé expressément par le chef de l’Etat pour contrer la posture de ces deux chefs de corps du pouvoir législatif avec le risque de provoquer une crise entre ces deux pouvoirs.

Félix Tshisekedi instigateur des antagonismes interinstitutionnels ?

Perspective plutôt terrifiante, selon notre interlocuteur qui s’inquiète que cela arrive « sous l’instigation du Président de la république qui est pourtant censé être le garant du bon fonctionnement des institutions ». Dans sa déclaration, en effet, le PG Mukolo Nkokesha a allégué plusieurs faits. D’abord que les rapports entre les institutions sont bons ; ensuite que le pouvoir judiciaire fonctionne normalement et, enfin, que la nomination des nouveaux juges n’est entachée d’aucune irrégularité et, donc, que la prestation de serment aura lieu « devant le chef de l’Etat » sans problème.

D’emblée, le Professeur  de droit qui a requis l’anonymat relève qu’étant membre de la Cour constitutionnelle, Jean Paul Mukolo, quoi que n’y étant pas formellement astreint en sa qualité de Procureur Général, aurait dû m   arquer une réserve surtout sur cette question qui concerne la Haute cour. Il décèle ensuite « quelques contrevérités » qui jalonnent ses propos.

Au sujet des rapports interinstitutionnels, il observe que « le PG Nkokesha peut avoir raison s’il s’agit des rapports entre le pouvoir judiciaire et les autres pouvoirs (exécutifs et judiciaires), du moins jusque-là ». Pour le reste, il a rappelle que les relations entre les institutions Président de la République et Parlement ne sont plus au beau fixe depuis plusieurs mois.

Avant d’ajouter que « ce à quoi s’est livré le Procureur général a bien les allures d’un boutiquage avec le magistrat suprême pour régler des comptes avec la direction du Parlement qui a précédemment pris position dans ce dossier qui met le chef de l’Etat dans une position particulièrement indélicate ».

Et de poursuivre : « On sait très bien lire dans le comportement de chacun pour comprendre que dans tout ça, c’est le chef de l’Etat qui mène le jeu avec pour objectif de se tirer d’une passe qu’il a certainement conscience d’être mauvaise pour lui ». Mais le Prof anonyme s’interroge : « Faudrait-il, pour le garant de la Nation, opposer dangereusement les institutions dans le simple but de se tirer d’affaire sans tenir compte des conséquences subséquentes ? »

Sans y répondre, notre interlocuteur fait simplement observer que « ce n’est pas une bonne politique que de croire avoir résolu un problème en s’en détournant ou en l’évitant. Depuis le début de ce dossier, la posture du Président fait toujours croire que la faute est aux autres, surtout les juges de la haute cour à qui il a dernièrement rendu responsable de sort au motif qu’ils n’avaient pas introduit un recours, alors qu’ils l’avaient bel et bien fait ». Et d’ajouter : «  Le plus important c’est d’aborder courageusement le problème pour y trouver une solution, fût-il en reculant s’il le faut, pour autant qu’on finit par en sortir élevé ».

Les contrevérités du Procureur général Mukolo Nkokesha

Poursuivant son analyse du discours du PG Nkokesha, le prof de droit relève que celui-ci « est loin de la sincérité lorsqu’il allègue que le pouvoir judiciaire fonctionne normalement ». Il rappelle, en effet, que cela faisait deux ans, depuis 2018, qu’il n’y avait plus de rentrée judiciaire formelle ni d’assemblée du Conseil supérieur de la magistrature. « Or c’est la rentrée judiciaire qui marque la reprise des activités dans tous les cours et tribunaux après les vacances. En sorte que pendant deux ans, ces cours et tribunaux fonctionnaient de fait, si l’on peut dire ».

Au sujet des assemblées du CSM, il a rappelle aussi que c’est au cours de celles-ci que cet organe formule, à l’intention du chef de l’Etat, des propositions de mise en placer au sein de la magistrature. Or, le dossier  de nomination des juges Ubulu et Kilomba à la Cour de cassation posent justement problème à ce sujet, car personne n’a souvenance d’une quelconque délibération à ce sujet durant ces deux dernières années.

Les officines qui défendent la thèse contraire allèguent que les avis avaient été donnés, tantôt par le bureau, tantôt par le secrétariat permanent. Mais l’interlocuteur de congovirtuel.or fait remarquer qu’en droit, les compétences sont d’attribution. Au CSM, c’est l’assemblée générale qui est habilitée à donner des avis en cette matière.

En effet, selon les deux premiers alinéas de l’article 17 de la loi organique n° 08/013 du 05 août 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, « le Bureau exécute les décisions et recommandations de l’Assemblée générale. Il soumet à ses délibérations des propositions relatives à l’organisation et au fonctionnement du pouvoir judiciaire ».

Et le 7ème alinéa est plus précis en indiquant que le Bureau « transmet les propositions de promotion ». Il n’a donc aucune prérogative de « statuer » sur ces propositions de promotion. « Donc le Procureur Général a pris de gros risques, non seulement en prenant position ouvertement, mais aussi en voulant s’ériger en institutions, soit le CSM, soit la Cour constitutionnelle en donnant des avis de droit qui relèvent des organes bien identifiés », conclue notre interlocuteur.

Le Parlement est incontournable dans la prestation de serment des juges

Enfin, quant à la prestation de serment qui est aujourd’hui la pomme de discorde, notre interlocuteur reprend de nouveau Jean Paul Mukolo Nkokesha qui a voulu faire croire qu’il peut se passer simplement devant le chef de l’Etat qui reçoit ce serment. Il évoque alors l’article 10 de la loi portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle qui s’tipule ce qui suit : « Avant d’entrer en fonction, les membres de la Cour sont présentés à la Nation, devant le Président de la République, l’Assemblée Nationale, le Sénat et le Conseil Supérieur de la Magistrature représenté par son Bureau ».

« Vouloir ainsi exclure les deux chambres du Parlement de cet exercice légal n’est rien de moins, pour le Procureur général, qu’un alignement derrière une des factions politiques en présence », déplore notre prof de droit ». Qui répète que « le PG Nkokesha n’aurait pas dû s’exprimer sur cette matière ». Avant de soupçonner qu’il ait fait cela « pour influencer l’opinion contre le Parlement en mettant sur la balance sa double casquette de patron du CSM et de Procureur général près la Cour  constitutionnelle ». Une observation, du reste, partagée par bien d’autres observateurs, surtout ces derniers temps où Mukolo Nkokesha mène la vie dure à Funga Prince, Président a.i de la Haute cour, en perspective de l’élection du nouveau Président.

Au demeurant, « au lieu de chercher tout le temps des béquilles dans l’architecture institutionnelle pour résoudre ses problèmes, Félix Tshisekedi ferait œuvre utile en s’assumant et en prenant courage pour les affronter en toute responsabilité », fait observer l’interlocuteur de congovirtuel.org. qui termine : « Cette politique n’a eu pour effet, à ce jour, que de saper la cohésion nationale et la solidarité interinstitutionnelle. Et cette affaire de prestation de serment pourrait porter un coup fatal sur l’édifice institutionnel avec des conséquences en termes d’annihilation de tous les acquis démocratiques que la RDC a engrangés au prix du sang de ses fils et filles ».

Jonas Eugène Kota

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